De Perrotin à Xippas, déambulation de début novembre

Publié le par JubilArt

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        Le début du mois de novembre c'est toujours un peu triste, c'est gris, le crachin tombe comme un rideau de mélancolie, l'effervescence de la rentrée est loin dans le retroviseur et les fêtes de fin d'année sont à peine envisagées au bout de la route annuelle. Bref, nous sommes dans l'oeil de l'automne, drapé dans sa morosité et son spleen, enrubané de l'orange fade des feuilles mortes qui n'ont plus leur poésie de fin septembre, et qui jonchent le sol vulgairement et crasseusement. Il faut bien alors passer ces journées moroses où boire un café en terrasse n'est plus le repos tout en langueur de l'été.

 

        Marcher sous la pluie fine, le ciel a ouvert son brumisateur, s'engager dans la rue de Turenne jusqu'à un simple porche sur le côté duquel est accroché ce panneau blanc: "Galerie Emmanuel Perrotin". Perrotin est un des galeriste star du Marais, et plus largement de Paris. Parmi les noms prestigieux qui font partis de l'écurie nous pourrions citer Daniel Arsham, Sophie Calle, Maurizio Cattelan, Wim Delvoye, Claude Rutault, Xavier Veilhan, et bien sûr Murakami, objet d'une polémique surannée, stérile, et même parafaitement arriérée pour la présentation de certaines de ses oeuvres au Château de Versaille. Depuis le 6 novembre, la galerie présente une triple exposition: Paola Pivi, Kaws, et Jin Meyerson.

 

         Pivi, outre des assemblages d'objets miniatures, nous offre un magnifique tapis de peau d'ours qu'elle devrait rapidement envoyer à la WWF sitôt l'exposition terminée (sinon, nous le voulons bien, c'est du meilleur effet dans un salon). Malheureusement, ce ne sont pas de vrais ours, mais des reproductions hyperréalistes qui s'étalent les unes à la suite des autres dans un long ruban qui fait le tour de la pièce, du sol au mur, du mur au plafond, et du plafond au mur, etc.

 

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Paola Pivi, What goes round - art comes around, 2010

 

           Mais arrêtons nous quelques instants sur les oeuvres de Kaws. De son vrai nom Brian Donnelly, Kaws est né en 1974 à Jersey City, et vit et travaille actuellement à Brooklyn (le centre de l'univers en ce moment pour ce qui concerne les arts, en particulier la musique, des Vampire Weekend à Yeasayer). Il s'est fait connaître par des interventions sur des affiches publicitaires dans des abribus ou des cabines téléphoniques, utilisant un motif -Skully, tête de mort au yeux en forme de croix comme les morts dans les BD, ou Bendy, un spermatozoïde surmonté d'une trogne de pirate - qu'il décline de diverses façons dans de nombreuses mises en scènes. Kaws travaille par la suite avec les Grands Noms: Marc Jacobs, Comme des Garçons, Colette, New-York Magazine, Pharelle Williams, Kanye West, etc. Kaws fait parti de ces artistes qui questionnent le geste artistique à l'heure du capitalisme effréné, transposant l'art dans l'objet manufacturé, le jouet, les produits dérivés, à l'instar d'un Keith Haring, d'un Warhol, ou d'un Murakami. Ou comment joindre l'utile à l'agréable (réflexion artistique et liasses de billets, dans l'ordre que vous voulez). L'exposition de Sieur Kaws met en scène plusieurs médiums de différents formats: des peintures à l'acrylique qui déconstruisent la figure géniale et ridicule de Bob l'Eponge, lui aposant aussi sur les yeux un point de croix comme Skully ou Bendy ; et des sculptures monumentales où la tête de Bendy vient garnir le corps d'un Mickey étêté. Pay the Debt to Nature, le titre de l'exposition, prend corps et vie dans le tableau éponyme au sein duquel un homme est capturé et supplicié par la Nature qui semble reprendre ses droits. Kaws reprend le flambeau des 80's de Keith Haring, voir, si on tire les cheveux, de Crash, et s'installe sur la scène contemporaine dans le même panier que Banksy, Murakami et consor. (Mais vive Banksy).

 

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         Sorti de chez Perrotin, le taedium vitae de l'automne grisâtre nous accable de nouveau (pas nous personnellement, mais la personne nous accompagnant qui ne supporte plus la pluie vicieuse de Paris au creux de l'automne), et c'est presque avec précipitation qu l'on quitte la laide Turenne pour le charme du labyrinthe des petites rues du Marais. Après deux ou trois virage, la rue Vieille-du-temple s'annonce, ses cafés et restaurants (Robert et Louise, sacrée viande au feu de bois qui laisse s'échapper des relans généreux de passion viking). Encore un porche, encadrant une monumentale porte, puis une cour pavée somme toute charmante. Au fond à droite, sous une veranda, se côtoient deux galeries. Mettons de côté Yvon Lambert qui présente Jenny Holzer, et pénétrons à droite chez Xippas. Depuis le 16 octobre, et jusqu'au 15 janvier (c'est long mais c'est bon), la galerie présente une exposition consacrée à une figure majeure de l'art contemporain américain, Robert Irwin. Ce vieux pirate est charmant et attendrissant (il fallait le voir au bord des larmes lors du séminaire Something You Should Know), et doublé d'une intelligence aiguë et d'une connaissance de l'histoire à toute épreuve. Ce grand artiste et théoricien, qui n'a cessé d'écrire sur son oeuvre, glissant d'Husserl à Merleau-Ponty, présente Way Out West, présentation de dizaines d'oeuvres lumineuses composées de tubes de néons colorés. C'est une exploration des mondes conjoints de la lumière et de la couleur à laquelle nous sommes conviés, oscillant dans lalternace chromatiques des néons éclairés, fascinante compositon rythmique qui ne serait pas sans nous rappeler, nous indique la brochure de la galerie, la lumière infinie de la Californie du Sud, et la musique West Woast Jazz, notamment le disque de Sonny Rollins (Way Out West sorti en 1957, fameux), dernier géant du jazz encore vivant, pendant musical d'Irwin. Chemin sur la beauté de la perception du rythme coloré, l'exposition de Robert Irwin est un régal visuel. Pour la transformer en expérience mystique et transcendante, allez-y muni de votre MP3 bercé par Sonny Rollins. C'est une certaine idée de la grâce...

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